AccueilActualitésArte Flamenco : viva el cante !
Au lendemain de la prestation majuscule de José Valencia, le chanteur et des experts flamenco se sont interrogés, jeudi 29 juin lors d'une table-ronde, sur la place du cante dans le panorama contemporain.
Les chiffres égrenés par Domingo Gonzalez, universitaire sévillan qui fut directeur de la Biennale de Séville, ont de quoi inquiéter les amateurs du cante jondo. Son analyse des dernières programmations annuelles fait apparaître qu'au théâtre de la Maestranza, seules 3 têtes d'affiches sur 7 spectacles sont des chanteuses ou chanteurs, une seule sur 8 au Palau de la música de Barcelone, aucune au théâtre de Madrid (que de la danse) ou de Jerez de la Frontera. Côté festival, Flamenco Madrid n'a proposé, cette année, que 4 spectacles de chant sur 27, Málaga Flamenco 8 sur 54, Londres 0 sur 15, New York 1 sur 6.
« Ces données affligeantes sont aggravées par le fait que ce sont souvent les mêmes cantaores qui sont programmés partout. Les récitals de maestros ou maestras âgés ont quasiment disparu, on perd des occasions exceptionnelles d’écouter encore des gens qui ne seront plus là dans quelques années », a déploré le musicologue Claude Worms qui y voit « un côté paradoxal car le cante est plus riche que jamais en répertoire, en technique vocale et cohérence musicale. »
Dans ce décompte tragique pour le chant, élément plus que fondamental depuis les canons de la discipline au XIXe siècle, Arte Flamenco fait quasi figure d'exception avec 40 % de tours de cante programmés à Mont-de-Marsan dont le grand récital d'Esther Merino jeudi soir, en tout intimité, vérité et élégance. « On remplit plus facilement la billetterie avec la danse, a reconnu Sandrine Rabassa, la directrice artistique. Mais ici, notre chance est que le cante a une place très privilégiée. On éduque notre public en proposant des spectacles en première partie avec autant d'audace que de liberté car le cante est le vecteur principal pour rentrer dans la passion du flamenco. »
Quand une salle entière se lève et reste 10 minutes debout pour acclamer un chanteur comme la veille José Valencia, « ça se passe de commentaires », a-t-elle ajouté. « C'était un grand moment d’émotion, de profondeur, de sincérité, d'engagement avec cette faculté considérable de dire des choses universelles en parlant de cette terre et de cet humaniste du XVe siècle, Elio Antonio de Nebrija. Les yeux de beaucoup brillaient de larmes... », a remercié l'écrivain Serge Airoldi, modérateur de la table-ronde.
Ému des hommages, José Valencia s'est pour sa part dit « très préoccupé » par sa profession : « le cante lui-même perd sa voix (…) Il y a bien sûr des bailaores magnifiques mais s’il n'y a pas de chant trop longtemps, il manque quelque chose ; le flamenco qui vient de la rue est aussi une question de respect des références anciennes, de hiérarchie. Sans le chant, le flamenco rythmique n'existe pas ni l'harmonie de la danse. »
Au-delà des faux débats entre archaïsme, orthodoxie et modernité, la défense du cante passe par la transmission orale et la formation, une difficulté de plus par rapport aux plus académiques apprentissages de la guitare ou de la danse. Voilà pourquoi Valencia a toujours accepté de donner sa chance aux plus jeunes, comme il l'avait fait, a rappelé Sandrine Rabassa, avec Pedro El Granaíno il y a quelques années ici lors d'un duo d'anthologie.
Aussi, pour continuer à encourager de nouveaux talents à émerger, Arte Flamenco a décidé de s'engager en 2023-2024 dans un cycle de formations et de résidences à Séville et dans les Landes, baptisé « Cantando las cuarenta » (expression espagnole pour dire ses quatre vérités), afin d'accompagner de jeunes chanteuses et chanteurs en devenir. Et imaginer de nouvelles manières d'enseigner le flamenco.