AccueilActualitésUne déesse parmi nous
Manuela Carrasco, légende vivante de la danse flamenca, a conquis une nouvelle fois le public d’Arte Flamenco lors de sa prestation du jeudi 1er juillet. Pour les aficionados, elle est le flamenco.
Lorsqu’elle monte sur le plateau de la conférence de presse d’Arte Flamenco, un murmure empreint de respect et de ferveur l’accueille. Lorsqu’elle assène de sa voix rauque un définitif « Moi, ce que je fais, c’est du flamenco », les applaudissements crépitent. Lorsqu’elle apparaît sur la scène des Arènes et lève, lentement, ses bras, un silence quasi religieux se fait. Et lorsque, après une série de taconeos* rapides et puissants, elle darde son regard intense sur le public, la tête haute, follement gitane, les gradins chavirent. Depuis plus de 50 ans, cette dévotion et cette admiration l’accompagnent partout et la stimulent : « je vis cet amour avec énormément de joie et de reconnaissance. Sans les applaudissements, n’importe quel spectacle serait très froid, sans âme. Le public te transmet sa force pour que tu donnes tout ».
Sandrine Rabassa, directrice artistique du festival Arte Flamenco et amie intime de la danseuse, est un témoin privilégié de cette relation spéciale entre l’artiste et son public : « Cela ne s’explique pas. Elle a une aura, une énergie, un charisme. Sa manière de se déplacer est exceptionnelle. Elle donne l’impression d’être un être surnaturel ».
Née en 1958 dans le quartier sévillan de Triana au cœur d'une famille d'artistes gitans - son père était le danseur José Carrasco « El Sordo » -, Manuela Carrasco a pourtant dû vaincre l’opposition de ses parents pour devenir bailaora. Mais la fillette est dotée d’un caractère bien trempé et d’une volonté inébranlable. À 10 ans, elle monte sur la scène du tablao El Jaleo, à Torremolinos. À 18 ans, le journaliste Juan de Dios Ramirez Heredia la consacre « déesse de la danse flamenca ».
Elle se produit avec les plus grands artistes – Fernanda de Utrera, Camarón de la Isla, El Chocolate, Farruco, Antonio Canales, etc. – et gagne leur admiration sans borne. En 1983, durant un spectacle au festival flamenco de Paris, la danseuse Pilar López lui baise le genou. La danseuse sévillane apparaît dans deux documentaires de Carlos Saura et parcourt le monde – Europe, États-Unis, Japon – pour défendre avec énergie la tradition la plus pure du flamenco. « Elle traîne avec elle des générations d’artistes. Elle porte l’histoire du flamenco et elle est l’histoire du flamenco. Les gens le ressentent », résume Sandrine Rabassa.
Point d’orgue de cette carrière constellée de prix et de décorations, la « diosa del baile » a reçu le 24 juin dernier la médaille d’or des Beaux-Arts des mains du roi d’Espagne.
La pandémie l’a empêchée de monter sur scène pendant de longs mois mais elle n’a pas cessé de réfléchir, encore et toujours, à son art : « Cette année, nous avons tous été arrêtés. Mais un artiste continue à rêver, à penser à ce qu’il doit faire, à étudier pour monter toujours plus haut ». Lors du spectacle Aires de mujer qu’elle a présenté à Mont-de-Marsan, elle a souhaité s’entourer de chanteuses, alors qu’en général elle est accompagnée par des voix masculines. Elle a choisi Esperanza Fernández, La Tana et sa propre fille Samara Carrasco parce que « elles ont beaucoup d’art et de caractère ». Dans une création intitulée El caballo blanco, elle a tenu à rendre hommage à la chanteuse La Susi, sœur de son mari et guitariste Joaquín Amador, décédée en octobre dernier.
Un moment émouvant, qu’elle ajoutera au beau livre d’amour qu’elle écrit depuis des années avec le festival montois : « J’ai énormément de bons souvenirs de Mont-de-Marsan. Sandrine choisit les meilleurs artistes pour que le festival continue de progresser année après année. S’il faut retenir un moment, ce serait le spectacle avec Antonio Canales en 2014, un grand rendez-vous, une explosion ».