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03 septembre 2024

Interview Résidence photographique de Pierre Dupin

35e édition

A l’occasion du 35ème Festival Arte Flamenco, une résidence photographique était proposée à Pierre Dupin. Depuis plusieurs années, cet artiste s’exprime grâce à la très vieille technique du collodion humide. Sur des plaques de verre et au terme de longues séances, il capte l’insaisissable profondeur de l’être. Les artistes programmés au Festival ont été conquis.

 Une expérience d'une émotion folle

Pierre Dupin est photographe. Il est notamment l’auteur d’un livre sur le renouveau de l’Hôtel Splendid à Dax (éditions Cairn). Depuis plusieurs années, il se passionne pour la pratique photographique du collodion humide, et a réalisé, avec cette technique, de nombreux portraits, natures mortes et scène de genre. Le collodion humide, coton-poudre dissous dans de l’éther alcoolique est une substance poisseuse qui adhère bien au verre et absorbe par trempage les sels d’argent. Cette plaque a la particularité d’être sensible à la lumière tant qu’elle est humide d’où le nom de collodion humide
Cette technique, apparue en 1851 (c’est l’année où l’anglais Frederik Scott Archer publie son Manual of Collodion Photographic Process) après le daguerréotype (1839) et le calotype (1841), a perduré pendant une trentaine d’années avant de laisser sa place au kodak portatif, plus simple et bien moins encombrant. Plus de 150 ans après, elle est remise au goût du jour par quelques passionnés en quête d'authenticité, de découverte et de curiosité. Cela redonne de la valeur au travail photographique bien loin du tout immédiat de notre monde pressé.

ARTE FLAMENCO. Après une semaine dense et riche auprès des artistes dont vous avez tiré le portrait, quelle impression générale gardez-vous de cette expérience ?

PIERRE DUPIN. Je suis sorti de cette aventure éreinté mais heureux, à un point inimaginable. En effet, j’ai été très surpris de l’accueil que les artistes rencontrés m’ont réservé...

C’est-à-dire ?

Toutes et tous sans exception ont été très respectueux de mon travail. Très curieux aussi, très à l’écoute, et toujours très attentif aux consignes. Or avec cette technique (voir ci-contre), elles sont nombreuses, exigeantes et leur respect conditionne énormément le résultat final.

Je sais aussi que le fait d’avoir installé le studio dans ce lieu (1) très intime, très « habité » a permis de déconnecter chacune et chacun du festival. Dans cet endroit hors du temps, hors du bruit, nous étions comme chez moi, dans mon atelier. Ainsi, nous avons pu nouer une relation très forte de vrai partage. C’était un lieu idéal pour un moment qui exigeait cette singularité. Le partage a été merveilleux. Eux, ont donné beaucoup d’eux-mêmes et de l’art qu’ils incarnent. Moi, j’ai pu leur offrir tout ce que je sais de la technique qui me passionne et que toutes et tous, à l’exception du poète Juan Diego Martín Cabeza (2), ne connaissaient pas.

Rocio Luna

À quoi vous attendiez-vous avant les premiers rendez-vous de travail ?

Très franchement, je ne mattendais à rien de particulier. Je suis venu au Festival avec l’innocence de celui qui ne connait rien du flamenco. Rien. Mais je suis aussi venu avec une extrême curiosité pour découvrir un univers dont je savais et devinais l’immense variété, l’incroyable profondeur, avec des hommes et des femmes d’une rare expressivité. Ce qui, bien évidemment, est un atout considérable pour envisager une séance ensemble.

Donc, je ne m’attendais à rien. Et le bonheur était au rendez-vous : le bonheur de vivre autant d’enthousiasme de la part des artistes photographiés et autant de générosité aussi.

Quelles rencontres en particulier gardez-vous en mémoire ?

Il faudrait toutes les citer. Toutes. Et d’ailleurs, c’est ce que je veux faire. Je me souviens ainsi de Tomatito et de son fils José qui s’est mis à jouer de la guitare pendant que je préparais la plaque. C’était magique. En se découvrant, Tomatito a dit voir le visage de sa grand-mère et aussi celui d’un guerrier Cheyenne. Tomatito était le premier de la semaine à poser. Il a donné le la. Un la parfait.

Quelques jours plus tard, Manuel Liñan, lui, a deviné les traits de son grand-père. Je me souviens aussi de la Kaita, énigmatique, insaisissable, sauvage, comme ailleurs, dans un autre monde. Quand elle a vu apparaître son portrait dans le bain sur la plaque de verre, elle a parlé de « magie », d’une magie dont je ne pouvais imaginer qu’elle fût autre chose qu’un miracle dans son esprit, comme une sorte d’étrange apparition. Elle a regardé mes mains et a dit : « Tienes manos de artista. Que Dios las bendiga ». Tu as des mains d’artiste. Que Dieu les bénisse.

J’ai aimé la rencontre avec les jeunes artistes, Ángeles Toledano, Rocío Luna, Andrès Armero, Zaira Prudencio, Carmela Riqueni, Ana Perez…Toutes et tous ont un rapport avec l’image différent que leurs aînés. C’est très intéressant pour moi de devoir m’adapter à cela aussi. Même si le procédé est strictement identique, évidemment, on ne photographie pas ces jeunes artistes comme Carmen Ledesma, Melchior Campos, La Argentina, Juanfran Carrasco ou Arcángel, très détendus et disponibles

Manuel Linan

J’ai beaucoup apprécié la gentillesse extrême de Dorantes. Et aussi celle de Maria Pagès et de son mari, d’Alicia Gil et de sa famille et de la danseuse Leonor Leal.

Je me souviens également de Concha Vargas et de sa très bonne humeur. Quand elle a vu son portrait, elle plaisantait sur le thème : « On a connu Marylin Monroe. Il existe maintenant une Marylin Morena… »

Je me souviens bien sûr d’Esperanza Fernández et de ce moment plein d’émotion. Chacun sait que la chanteuse est venue à Mont-de-Marsan après avoir perdu son père deux semaines auparavant (3). C’était forcément très dur pour elle. Et la séance a fait remonter des quantités de choses douloureuses en elle. Douloureuses. Mais puissamment belles dans le même temps. Elle a beaucoup parlé de lui, de ce père parti. Il y a eu des larmes. Et à la fin de la séance, Esperanza a partagé ce moment de sa vie. Elle a évoqué sa mère, son père défunt et cette fois-là, où, à la faveur d’un enregistrement, elle a entendu une autre voix que la sienne qui surgissait du néant. Je n’en dis pas plus. Cette confession doit rester dans le secret. Simplement, je dis que l’artiste a certainement révélé cette autre voix parce qu’elle a décelé la même présence dans les imperfections de la photo que je lui montrais. Cette technique veut parfois ça. J’appelle cela l’ange de l’incertitude pour reprendre l’expression de la photographe Sally Man (4). Esperanza a vu une trace mystérieuse dans un de ses portraits. Et elle l’a interprétée…

Je me dis qu’Esperanza, comme beaucoup d’autres ont eu des flashes qui les ont ramenés loin en arrière dans leur famille, leur dynastie, leur souvenir. À leurs racines.

Avec chacune, chacun, je conserve précieusement des images et des mots qui resteront gravés en moi.

Pierre Dupin

Comment expliquez-vous l’adéquation de cette technique du collodion humide pour une telle plongée dans les âmes ?

Je crois que cela tient au nombre important d’étapes et à la lenteur du procédé. Tout cela exige de chaque personne photographiée la nécessité d’incarner en vérité celle ou celui qu’ils sont vraiment. Qu’ils sont en grande profondeur, sur le territoire très lointain des émotions que nous portons mais que nous ne savons pas toujours.

Cela est vrai pour quiconque s’affronte à la technique. C’est forcément encore plus vrai avec des artistes flamencos dont l’expérience et la richesse de vie sont incomparables. Sans même évoquer l’histoire incroyable que chacun porte…Toutes les histoires incroyables, il faudrait dire…

Vous parlez d’une vérité ?...

Oui. Une vérité…Parce qu’avec ce procédé et les contraintes dont j’ai déjà parlé, ça ne triche pas, ça ne triche jamais. Ça ne le peut pas. Chacun est nu, dans l’absolu présent.

En fait, ce procédé, je le sais maintenant, colle parfaitement à tout ce qui se dégage de l’art flamenco et des personnalités qui l’incarnent et le font vivre. Ce qui est intéressant aussi c’est de proposer le langage de l’immobilité à des artistes qui, sur scène, vivent dans un principe de mouvement intense.

Et aussi, je sens une adéquation entre la valeur patrimoniale de cette pratique photographique vieille de cent cinquante ans et toute l’histoire que tous ces artistes portent et perpétuent.

Si vous deviez résumer ce que vous avez vécu pendant cette résidence, que diriez-vous ?

Que j’ai vécu, avec l’assistance précieuse de mes deux filles Camille et Pauline, une expérience d’une émotion folle.

Propos recueillis par Serge Airoldi

 

  1. Il s’agissait du sous-sol de l’association du Merle Moqueur, rue Wlérick à Mont-de-Marsan. Pendant la durée du Festival, l’association accueillait au rez-de-chaussée des ateliers d’expression pour les enfants et aussi une exposition de bandes dessinées réalisée par des collégiens d’Hagetmau avec le dessinateur Kkrist Mirror)

  1. Poète, docteur en philosophie, universitaire à Séville, il est le neveu du peintre et poète Francisco Moreno Galván dont les letras ont été étudiées dans le cadre de Cantando las cuarenta dont il était le tuteur littéraire, une résidence à Séville et à Tarnos avant la création d’un spectacle avec de jeunes artistes à l’occasion du 35ème Festival Arte Flamenco
  2. Le cantaor Curro Fernández s’est éteint vendredi 14 juin, à Séville à l’âge de 82 ans. Avec lui s’éteint une très importante figure et une très grande voix du cante flamenco. Curro Fernández était le patriarche d'une dynastie flamenca gitane très respectée. Il devait partager la scène du théâtre Molière, lors du 35è festival Arte Flamenco, le mardi 2 juillet en compagnie de sa fille, la cantaora Esperanza Fernández, ainsi que de la tante de cette dernière, la bailaora Concha Vargas
  3. Sally Mann (née le 1er mai 1951 à Lexington en Virginie) est une photographe américaine. Elle réalise ses prises de vue surtout en extérieur, la plupart du temps dans sa grande propriété à Lexington, isolée dans les bois des montagnes Blue Ridge. Ses sujets de prédilection sont les membres de sa famille et ses amis proches, la nature qui l'entoure ou le rapport au vivant et à la mort. Ses œuvres et collections sont présentes dans de nombreux musées aux États-Unis et dans le monde : entre autres au Museum of Modern Art de New York, au musée d'art moderne de San Francisco, au musée de l'université Harvard à Cambridge, au musée d'Art métropolitain de Tokyo
Pierre Dupin

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